Tu ouvres tes grands yeux bleus, émerveillé. Tu les ouvres, sans jamais cligner, tu n'oses pas les refermer, même si tes yeux commencent à te brûler, même si tu sens les larmes commencer à couler. Tu as peur, peur de fermer tes yeux, pour ensuite les rouvrir et découvrir que tout ça n'était qu'un rêve. Un putain de rêve. Parce que ça ne peut pas être réel. Ton petit cœur tout mou, si faible, s'emballe, à une cadence tellement folle que ça te fait mal. Tu sens tes mains devenir moites, tu perds tous tes moyens, ton corps si frêle n'est plus qu'une poupée de chiffon. Et puis, subitement, tu pleures. Fort. Très fort. Et tu espères ne jamais te réveiller. Parce que, devant toi, se dresse un château de lumière, perdu au milieu de la nuit noir. Parce que, en ce moment même, tu ne vois plus qu'une chose : c'est
Poudlard. Et tu te poses des questions... Comment as-tu fait, toi, la pauvre et petite gamine, à te retrouver contempler un tel lieu ? Comment as-tu fait, toi, l'accident de parcours de tes parents, toi qui a ruinée plus d'une vie, à devoir rejoindre Poudlard ? Cette fois, tu fermes bel et bien tes yeux, tu te déconnectes de cette vue qui fait battre ton cœur, tu te plonges dans tes souvenirs, tu essaies de trouver l'erreur... Ou plutôt, tu essaies de te convaincre qu'il n'y a jamais eu d'erreur, lors de ton inscription, tu essaies de te convaincre que tu mérites bien ta place dans cette école.
8 juillet 1982. C'est le jour de ta naissance, il fait encore nuit. Dans peu de temps, le soleil fera son apparition. En ce moment même, les lève-tôt, ceux qui travaillent et de bonnes heures, croisent les couche-tard, c'est-à-dire les fêtards, les oiseaux de nuits, ceux qui ne pensent qu'à fermer les yeux et à vivre au jour le jour. Tu es née à ce moment précis, où tous les genres se croisent. Tu es née, à ce moment où personne n'est réellement réveillé, ils sont là, encore à songer aux rêves qu'ils ont fait, qu'ils font et qu'ils feront, aux rêves qu'ils auraient pu réaliser, qu'ils ont réalisé, qu'ils pourront réaliser.
Tu n'es pas née dans un hôpital, comme tous les autres, tu es née dans une cave londonienne, réaménagé en ce qu'on pouvait nommé un petit appartement. Là où vivait ta mère, puis ton père par la suite. Le propriétaire, un vieil homme aigri, les faisait payer un loyer de misère. Elle, ta mère, c'était une femme de ménage. Ton père, c'était un salarié des plus banals. Et tu sais quoi ? Tu as ruiné leur vie. Ils auraient pu juste avoir une aventure d'un soir, sans jamais rien connaitre de l'un et de l'autre, continuer à vivre leur vie insouciante. Ils auraient pu chercher à trouver un meilleur boulot, ils auraient pu réaliser un de leurs rêves, ton père aurait pu accepter les voyages d'affaires, et grâce à cela, avoir une promotion, réussir à s'élever encore plus haut, ils auraient pu réussir leur vie... Mais non. Tu étais là.
Tu as tout gâché. Ils auraient pu te balancer par la fenêtre, ils auraient pu te brûler vive, t'étouffer pour ne jamais entendre tes cris, t'égorger comme on égorge un cochon, sans pitié. Ils auraient pu t'envoyer en enfer dès ta naissance. Mais ils ne l'ont pas fait, parce qu'ils avaient une conscience. Cette conscience t'as sauvé. Alors estime-toi heureuse, gamine. Car ta vie n'a tenu qu'à cela.
Et tu as vécu. C'était la misère, ouais. Mais tu n'étais pas une de ces pauvres victimes. Ton père ne te battait pas. Tu n'as jamais eu d'histoire tragique. Tu n'as pas réchappé à la mort de justesse. Tu n'as pas affronté un puissant mage noir. Non, tu étais juste une petite fille miséreuse. Alors, tu ne t'es jamais apitoyée sur ton sort. Tes parents ne t'aimaient pas. Et alors ? Tu n'étais pas riche, tu n'étais rien. Tant pis. Tu étais vouée à vivre en tant que gamine insignifiante. Ce n'est pas grave.
Et puis, le jour est venu d'aller à l'école. Quand on t'a inscrit aux cours élémentaires, tu ne faisais aucun effort. Parce qu'au fond, tu savais que malgré tous tes efforts, ta vie aurait été vouée à l'échec. Tu aurais pu être quelqu'un d'intelligent, ça n'aurait pas suffi à t'élever assez haut dans la société pour avoir une place convenable. Tu aurais beau faire tout ce que tu peux pour t'échapper de cette enfer, rien n'aurait pu te sauver. Tu n'avais que 6 ans...
Chère petite fille, tu es une née-moldu. Tu ignorais tout de cet autre monde. Tu as peut-être, un jour, rêvé d'être spécial, de vivre une vie aussi trépidante que tes héros d'enfance, tu as rêvé de sortir de la pauvreté. Mais à chaque fois, la réalité te rattrapait, et tes rêves, et tes envies, et ton monde, finissaient toujours au placard, et tu te disais « Tant pis », feignant la désintéressée. Mais tu le voulais, n'est-ce pas ? Être un superhéros, sortir la cape de sauveuse du monde et partir aider la veuve et l'orphelin. Tu enviais ses héros qui arrivaient à sortir de leur routine quotidienne. Tu espérais, toi aussi, un miracle comme dans les films, un miracle qui ferait basculer ta vie et le restant de tes jours. Tu espérais.
Ce jour-là, tu avais peut-être 7 ans. Tu t'en rappelles ? De ce ballon de football, il était de couleur rouge et blanche, sale et usée, les gamins s'étaient amusé à écrire et dessiner sur celui-ci avec un feutre noir... Oui, tu t'en rappelles comme si c'était hier, car ce jour t'as hanté pendant des années. Tu as toujours été étrange, étrange sans être « spécial » néanmoins, tu te savais un peu plus terre à terre que tes camarades de classe, un peu moins respectueuse qu'eux tous, jamais à l'écoute, cherchant une certaine liberté que tu n'avais pas. Mais ce jour-là, tu fus spéciale, même si tu ne t'en es pas rendue compte sur le coup, même si tu le nias avec force un peu plus tard. Non, tu n'étais pas un monstre, tu étais
spéciale. Tu vois, tu as eu ce que tu cherchais ! Tu as eu ce que tu cherchais !
Mais tu n'as pas compris... Tu as simplement eu peur de ce que tu étais.
Ton regard glissa vers le groupe de garçons - tes camarades de classe, à vrai dire - jouant joyeusement au ballon. Ils ne t'ont pas remarqué. Le parc est grand, tu es simplement assise sur un banc, une vieille poupée de chiffon entre les mains. Ton manteau miteux te protège à peine du froid et des vents glacials. Tu les observes de loin, du coin de l'œil. Au début, seul leur rire et l'agitation qu'ils produisent t'ont intrigué. En effet, par ce temps, il n'y a que très peu de personne en ce lieu, mais tu as très vite délaissé ta pauvre poupée, les regardant jouer, hypnotisée pour une raison que tu ignores. Et puis, un des gamins te voit. Il te souri. Tu le fixes. Il te parle. Tu ne l'écoutes pas. Tu t'échappes. Tu as peur. Tu te lèves et tu commences à courir. Les gamins ne comprennent pas ta réaction.
Mais qui pourrait bien la comprendre ? Tu les entends, derrière toi, ils t'appellent, t'interpellent. Tu lances un regard par-dessus ton épaule. Ils ne te courent pas après, tant mieux. Ils ne te veulent pas de mal, c'est ce que tu te dis. Mais pourquoi penses-tu qu'ils te voudraient du mal ? Pourquoi as-tu peur ? Tu ne sais pas. Tu ne sais pas, mais tu es quand même effrayé par leurs regards vrillés sur toi. Pourtant, tu t'arrêtes et te retournes, et coules un regard vers la bande. Ils semblent retenir leur respiration, comme si le moindre de leur mouvement pourrait à nouveau te faire fuir. Plus personne ne bouge, vous vous affrontez du regard. Toi, complètement effarouchée. Eux, intrigués. Vous êtes sur les nerfs, prêt à réagir au quart de tour. Le temps ralentit, s'arrête, s'écroule. Tu ne sais plus quoi faire. Tu as peur de te retourner et de fuir, et qu'ils te suivent. Alors tu ne bouges pas. Tu veux attendre qu'ils s'en aillent, qu'ils se lassent de cet instant, qu'ils retournent à leur occupation. Mais cela ne se fait pas.
Ce cri te sort de ta torpeur. Tu n'as pas le temps de réagir. Tout vas trop vite. Tu vois les choses en ralenti. Un des gamins prend le ballon des mains de son camarade. Ce même gamin tape rageusement dans le ballon. Le ballon fonce vers ta personne. Et toi, immobile, des sueurs froides coulant dans ton dos, tes yeux rivés sur l'objet volant à toute vitesse, s'approchant dangereusement. «
Que faire... ? » tu murmures.
Ferme les yeux. La bande crie, tu les entends à peine.
Attend le coup, la douleur. Après tout, ce n'est qu'un ballon...
Mais ça ne vient pas, ça ne vient pas ! Pourquoi ? Tu relèves une paupière, puis l'autre. Et tu vois nettement le ballon, à quelques centimètres de tes yeux, immobile, flottant, juste là, sous tes yeux. Juste le temps de crier, juste le temps de revoir la peur se pointer... Et il retombe mollement au sol, sans même rebondir. Les garçons, eux, s'avancent vers toi. Tu as peur. Peur. Ils s'avancent. tu fais un pas en arrière, un deuxième. Tu recules, les yeux exorbités. Tu te glaces d'horreur. Tu arrives à peine à articuler ta supplique. « Reculez, reculez... » Ils ne comprennent pas pourquoi tu as peur. Ils ne savent pas que c'est eux-même qui t'effraient. Recule d'un troisième pas. Et à nouveau,
tu fermes les yeux. Tu te plonges dans ton monde, imaginaire celui-ci. Tu ne veux pas ressentir la présence des garçons. Tu t'imagines, plonger dans une eau glacée, un lieu silencieux, froid. Le néant. Tu veux le néant, te plonger à corps perdu dans le vide, ne jamais en ressortir, te perdre dans la nuit noire.
Subitement, tu le sens, sur ton bras, sa prise hargneuse. C'est le
Monstre... Tu le sais, tu le sens. C'est Lui. Sorti de nul part, juste derrière-toi.
Retourne-toi. Pendant une demi-seconde, tu le vois, derrière toi, seuls ses yeux luisant d'un blanc trop éclatant et son sourire inquiétant arrive à transpercer la nuit. Il retire sa main, tu la vois disparaitre derrière un rideau d'ombre. Tu as la respiration encore coupé. Et, maintenant ? Partir. Tu dois partir ! Il va revenir.
Le Monstre de tes cauchemars. Ouvre les yeux, maintenant. Reviens dans la réalité, petite fille.
Le garçon, c'est lui. Tu vois sa main retomber. C'est lui qui t'avais touché ? Tu ne sais pas, tu ne veux pas savoir. Car plus rien ne compte, à part la proximité du gamin. Elle te glace le sang. Tu veux t'éloigner à tout prix... Un, deux, trois, cinq, sept pas en arrière, puis tu trébuches. L'enfant esquisse un mouvement pour te tendre sa main, il veut t'aider à te relever. Mais tu ne le vois pas de cette manière. Tu te traines encore un peu plus loin. Tu seras sale, ta mère va t'engueuler. Plus tu t'éloignes, plus l'enfant avance vers toi. Il n'arrive pas à te comprendre. Puis... CRAC. Tu entends quelque chose se briser, et tu la vois nettement, cette branche, tomber sur le garçon. Il est maintenant au sol, inerte... Non, pas inerte, tu l'entends encore gémir faiblement. « C'est toi qui a fait ça !? » bourdonne dans tes oreilles. C'est un de ses amis qui te crie dessus, mais tu te sens soudainement vide. Bien sûr que non, ce n'est pas toi ! C'est impossible. Impossible. Ce n'est pas toi. Inlassablement, tu te répètes ces mots de réconfort, mais quelque chose en toi le sens comme un mensonge. Tu lèves tes yeux - qui étaient fixé sur le corps - pour regarder ses amis, et sans réfléchir plus que de raison, tu t'enfuis. Tu rentres chez toi. Et les jours passent, ils passent et se ressemblent. Tu n'oses plus sortir de ta chambre. Si tu vas à l'école, tu recroiseras obligatoirement la bande de l'autre jour. Tu pourrais sortir en ville, mais c'est encore au-dessus de tes forces.
Tu es hantée. Tu as peur, peur de toi, peur de ce que tu as fait, peur de ce que tu pourrais faire. Et aussi, tu n'oses plus fermer les yeux, car le Monstre pourrait revenir. Le Monstre. Il ne s'est jamais manifesté autre part que dans tes cauchemars. Il n'aurait pas dû venir. Est-il possible que tu deviennes folle ? Peut-être que le Monstre devient toi, peut-être que vous n'êtes déjà qu'un... Mais le Monstre n'existe pas ! Il n'existe que dans ta tête, dans ton monde, dans ta réalité fictive. C'est un intrus, il a réussi à entrer en toi, dès ta naissance, d'une façon ou d'une autre, et maintenant il te hante...
Non, c'est impossible. C'est complètement tiré par les cheveux, cette histoire... Mais alors, pourquoi continues-tu de douter ?
You're just a ghost and I'm real.
You're just a stone and I'm the wind. (en cours)